Chômage : quelles réalités ?

Stigmatisation, exclusion, augmentation de la précarité, effets néfastes sur la santé mentale.. ne sont juste que quelques unes des conséquences des politiques d’exclusion. À l’approche des élections 2024, cette vieille chasse à la sorcière se retrouve encore plus au cœur du débat public, où les politiques s’approprient ce sujet sensible afin diviser et gagner de l’électorat.


« Au chômage, on est trop payé », « La belle vie à ne rien faire »,..

C’est une des rumeurs qui revient le plus souvent et qui en ces temps de crises économiques sert justement à diviser les travailleurs occupés et les demandeurs d’emplois en utilisant la corde sensible des revenus. Alors que pourtant, l’allocation moyenne est bien inférieure au seuil de pauvreté.

Ci-dessus un tableau montrant la différence entre le seuil de pauvreté et l’allocation de chômage moyenne (Données provenant de l’ONEM et Statbel). Le constat est pourtant clair, peu importe la situation familiale, l’allocation de chômage reste bien inférieure au seuil de pauvreté.

Alors si "les aides et les allocations sociales rendent la situation d'un chômeur meilleure que celle d'un travailleur" (Georges-Louis Bouchez dans QR Le Débat, 13/10/22), ces même allocations qui ne permettent même pas d’atteindre le seuil de pauvreté, le problème ne se situerait-il pas au niveau  des salaires des travailleurs qui sont trop bas ?

En pointant du doigt les chômeurs, les politiques détournent l’attention de problématiques telles que les conditions de travail précaire, les salaires trop bas, les inégalités sociales ou de genre et l’aggravation des conditions compliquant la recherche d’emploi. Ce qui évite d’aborder ces dernières et de prendre des mesures efficaces pour les résoudre.

Dégressivité

Dans son étude « Dix ans de dégressivité renforcée des allocations de chômage », l’ONEM revient sur la dernière décennie de dégressivité renforcée introduite en 2012 par le gouvernement Di Rupo.

Dans un communiqué du MR datant de l’année passée, le parti exprimait sa volonté à vouloir renforcer la dégressivité des allocations de chômage et les limiter dans le temps afin de, selon eux, « agir rapidement pour augmenter le taux d’emploi ».

Pourtant l’analyse de l’ONEM démontre qu’en 10 ans de dégressivité renforcée, aucun effet positif n’a été relevé sur le taux d’insertion dans l’emploi.

 

Quant à la différence entre les demandeurs d’emploi indemnisés avec dégressivité et ceux sans dégressivité (par exemple durant les courtes durées de travail ou formation), on observe que les attentes de la politique anti-chômeurs a moins d’effets sur le retour à l’emploi quand elle s’applique comme prévu que quand la complexité l’empêche de pleinement produire ses effets.

La dégressivité ferait-elle réellement faire des économies à la Sécurité Sociale ? Au-delà de l’aspect éthique de rogner dans une aide sociale visant à faire face à l’exclusion sociale et la pauvreté, l’ONEM est encore clair sur ce point : ces économies sont quasi nulles. En 10 années de dégressivité renforcée, seulement 0,5% d’économie brute a pu être réalisé sur les dépenses de chômage. Et même, cette réforme a aussi engendré une importante surcharge de travail qui vient couper entre 10% et 17% de ces économies.

Tout n’est pas que financier.

Le chômage peut également s’avérer problématique pour la santé physique et mentale. Comme vu plus haut, le chômage s’accompagne d’une perte de revenus et de faibles revenus sont généralement associés à un état de santé plus dégradé. Il est dès lors plus couteux d’avoir accès à une alimentation saine, d’accéder aux soins de santé et aux loisirs. Les personnes peuvent aussi se sentir coupables de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, ce qui entraîne des conflits et des problèmes familiaux.

Le fait de se retrouver sans emploi n’est pas sans risque la santé mentale : il peut jouer sur la confiance en soi, il vient déstabiliser le rythme de vie et peut amener vers un isolement plus ou moins marqué et même une remise en cause de son statut social. Dans un marché de l’emploi toujours aussi compliqué d’entrée et exigeant, le demandeur d’emploi va être confronté des recherches infructueuses et de nombreux rejets. Tout ça amène à des découragements, des pertes de repères et d’estime de soi.

Il s’avère essentiel de reconnaître l’importance de la santé mentale des personnes au chômage et de fournir un soutien adéquat. Les contrôles et le flicage des demandeurs d’emploi opérés par les institutions et le gouvernement entraînent une myriade de conséquences psychologiques négatives. Des conséquences qui a leur tour, provoquent des complications dans la recherche d’emploi. Si l’accent n’est pas mis sur des programmes de soutien psychologique et social, de gestion du stress, de formation à la recherche d’emploi pour atténuer les effets néfastes du chômage sur la santé, cela restera une spirale infernale.

Ces problématiques qui fragilisent la santé augmentent les dépenses liées au soins. Les personnes privées d’emploi dépensent en moyenne 2730€ par an pour se soigner contre 2222€ pour les travailleurs, une différence de 23%. (Chiffres de Solidaris, 2021)
Il ne faut pas omettre le profil social. Si l’on s’attarde sur le statut professionnel des chômeurs de longue durée, on remarque que 80% d’entre eux sont issus du milieu ouvrier alors que 44% des personnes ayant un emploi sont ouvrières. Une classe déjà plus fragilisée du point de vue de la santé.

N’oublions pas que toutes ces processus font aussi partie d’une stratégie électorale bien définie. En divisant les classes ouvrières, populaires et moyennes, les politiques et le patronat peuvent créer des dissensions internes affin de rendre plus difficile pour ces classes de s’unir et de s’organiser pour défendre leurs intérêts communs. Avec cet affaiblissement de la mobilisation collective, les politiques peuvent maintenir leur emprise sur le pouvoir.

Pour finir, terminons sur un chiffre. En 2021, des centaines d’entreprises belges ont envoyé 266 milliards d'euros dans des paradis fiscaux (La Libre), le chômage a quant à lui coûté 2,13 milliards d’euros. (Le Soir)

Bref, une méthode d’exclusion et de division qui profite aux politiques et à l’ordre établi.



ASBL CEPRé 1 septembre 2023
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